Je viens de boucler plus de quarante d’années de portance humblement mendiées au ciel, retenues à
jamais sur mon compte de vols, sur mon tutoiement des espaces infinis, sur ma familiarité
singulière avec les phénomènes célestes les plus divers. Quatre décennies de rencontres, de
sublimes sincérités ou de désillusions, d’empathies rafraîchissantes et de quelques rares calculateurs
étriqués. Quatre décennies d’engagement sans faille, d’une énergie intacte et d’un optimisme
incroyable pour une cinématique miraculeuse : celle du vol. J’ai consommé des altitudes comme on
utilise un outil. J’ai vibré sans aucune lassitude aux accents renouvelés des écueils prévisibles et de
ceux qui l’étaient moins. J’ai reconnu bien volontiers la force des éléments et surtout j’en suis resté
pleinement conscient, abandonnant définitivement l’idée d’une quelconque maîtrise. J’ai produit de
mon mieux ce qu’on attendait de moi, avec mes maladresses, mes faiblesses et mes débordements.
Dans mon petit roman aéronautique personnel, chacun est bien à sa place, inscrit à jamais dans ces
minutes prêtées par le ciel. Je n’ai pas la culture de la marque ou de la trace, si toutefois il en existe
une quelque part, et je revendique de continuer ainsi. La reconnaissance du ciel me suffit, lui qui
m’a laissé un petit espace de son immensité pour tenter d’exister et qui a eu la bonté de ne pas me
retenir à jamais. J’aime à penser que d’autres que moi le serviront bien mieux encore, sauront le
vénérer comme il se doit, et lui témoigneront tout le respect qu’il mérite.
Les vols sont aujourd’hui aux autres, à ceux qui les envient, à ceux qui les comprennent, à ceux qui
les jalousent. Car le vol est humain, il est fabriqué par ceux qui le revendiquent. Ce sont les femmes
et les hommes qui en font ce qu’il est. Cette petite entreprise de l’envol est florissante parce que rien
ne décolle sans élan, sans énergie, sans volonté, sans carburant humain. Le vol se substitue en ce
sens à l’âme, cette matrice indéfinie qui porte tout. Il se substitue aux simples croyances parce
d’innombrables combats en ont fait ce qu’il est devenu et que de nombreuses vies perdues ont
prouvé sa réalité terrestre.