Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?
C’est toujours un moment très fort de voir son livre exister concrètement. Tant qu’il n’est pas sorti, j’ai du mal à matérialiser l’objet-livre. D’autant qu’il y a souvent un décalage temporel important entre la période d’écriture et celle où l’on invite à la lecture. Ce temps est celui de trouver un éditeur, de travailler sur la mise en page et la couverture. Pour ma part, je considère qu’un livre édité ne m’appartient plus tout à fait. Il vit grâce aux lecteurs qui (c’est assez troublant) n’en retirent pas tous la même émotion. Certains adorent, d’autres détestent ; d’autres enfin sont marqués sans parvenir à définir pourquoi… Ce qui m’importe est que le lecteur soit touché ! Qu’il se souvienne de ce qu’il a lu. Je n’écris pas pour plaire – ni au lecteur ni à une certaine mode – mais pour partager et faire réagir. Au point qu’il m’arrive, en cours d’écriture, de laisser aller mes personnages comme s’ils étaient vrais. Et de respecter leur liberté. De même qu’à parution, je me plais à croire qu’ils ont leur vie propre. Pour preuve, le lecteur les rend vivants à travers le regard qui leur porte. C’est le cas ici de mon tueur et de ceux qui l’entourent.
Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?
Je suis plutôt chanceux : une majorité de lecteurs aiment ce roman. Là où je suis bluffé, j’avoue, c’est qu’ils n’ont pas réagi aux endroits ou aux passages auxquels je m’attendais. Disons aux détails les plus glauques. Là où je pensais choquer, ils ont adoré. Là où j’ai cru qu’une scène les laisserait indifférents, certains ont tiqué. Je fais mon possible pour ne pas écrire ce que le lecteur attend ; mais j’essaie toutefois d’anticiper sa réaction. Et c’est un exercice quasiment impossible. Par exemple, beaucoup attendent que mon tueur se fasse coincer par la Police et donc, qu’il finisse par commettre une faute ! Or l’histoire prend un tournant inattendu qui déroute. Dont le dénouement (ouf) me sauve de la déception. Autre point : la plupart des lecteurs espèrent une suite. Compte-tenu de la fin… Ils veulent savoir ce qui arrivera aux survivants du roman après la dernière page. Ce qui me surprend beaucoup, c’est que les lecteurs trouvent mon tueur assez attachant, tout en lui reconnaissant une froideur animale.
Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?
C’est une belle aventure et une expérience incroyable car dans ce livre j’inaugure la fiction. J’avais publié divers ouvrages, soit historiques (affaires criminelles) soit poétiques (textes ou paroles de chansons). C’est la première fois que je donne vie à des personnages nés de mon imaginaire. Et ce que j’apprécie en particulier, c’est la confiance du directeur éditorial qui a respecté mon texte sans faire ingérence sur le fond. Ce qui, pour un romancier, est très important. Car, débutant ou non, on est toujours tiraillé par le doute… Et là, la confiance ajoutée fait qu’on assume avec force ce qu’on a écrit. Et qu’on a envie de défendre son travail ! L’enseignement que j’en tire c’est cette règle d’or que je m’étais imposée (et se confirme avec le retour du lecteur) : écrire dans un style cash, écrire des phrases courtes, rester au plus près des faits.
Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?
Il est difficile de mesurer soi-même la valeur de son travail. L’auteur n’est jamais son meilleur juge ! La plupart, c’est évident, disent que leur livre est bon. Moi je préfère laisser les lecteurs en décider. Bien conscient qu’il sera formidable pour les uns et médiocre pour d’autres. Chacun ses goûts et ses lectures. J’espère simplement que j’ai réussi mon pari à travers deux mots d’ordre : ne pas raconter qu’une enquête policière ou les folies d’un sérial-killer (avec les mêmes codes qu’on trouve partout) et surtout, ne pas écrire d’une façon attendue, c’est-à-dire comme on trouve déjà dans plein d’autres livres. J’ai choisi le roman noir pour dépasser le simple polar car il permet d’aller plus loin et d’être plus subversif. Je ne voulais pas proposer une simple histoire policière où le lecteur est enfermé dans le triangle ultra-classique : « meurtre, enquête, dénouement. » J’ai voulu créer la vie autour de mon tueur. En cela, les retours me donnent raison. Car les gens ont bien aimé ce postulat.
Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?
Je m’astreins une rigueur sinon il est trop difficile de rester concentré. Donc écrire chaque jour. Au moins une demi-page, une page voire deux. C’est selon. En principe, un jour le premier jet ; le lendemain je travaille les finitions. Je me relis beaucoup, pour le rythme et le vocabulaire. Etant assez maniaque avec l’orthographe et les répétitions. Toujours à voix haute. C’est efficace. Je n’hésite pas à supprimer ou à couper au besoin (c’est une technique héritée de ma carrière de journaliste). Globalement, même s’il est difficile de contrôler une cadence, je consacre environ 7 pages par chapitre. Je m’efforce d’écrire un chapitre par semaine. Inutile de préciser que l’inspiration n’étant pas une science exacte, la mienne répond rarement à cette mathématique. Ça permet en vérité de ne pas décrocher, ni perdre le fil. De rester discipliné. Sinon oui, un rituel : je prépare des phrases entières dans ma tête ; ce qui me fait gagner du temps et souvent m’évite de sécher devant la page blanche. Ça m’angoisse. Une astuce : noter des mots importants, des idées, des bouts de dialogue sur le « bloc-notes » de mon portable (souvent tard le soir ou la nuit) de sorte que je retrouve ma matière d’écriture pour le lendemain. Sinon je bosse l’après-midi, entre une et trois heures, en fonction des choses du quotidien.
Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?
J’ai terminé un autre roman au printemps en attendant la sortie des Incurables. Mais il s’agit d’un drame familial. Dans le registre de l’enfance maltraitée. En octobre, j’ai démarré un nouveau roman noir sur lequel je planche actuellement. Cette fois je ne remonte pas la vie d’un tueur glacial en dévoilant ses crimes. Je me concentre sur un fait monstrueux et la façon que mon coupable choisira pour s’en sortir. On y retrouve évidemment un assassin dans ce qu’il sait le mieux faire : tuer. Que va-t-il décider ensuite et devenir après avoir commis l’irréparable ? Sachant qu’il est recherché partout ? Peut-il s’en tirer et comment ? C’est un texte en trois rebondissements. Je veux garder à l’esprit, à travers cette nouvelle histoire (au moins aussi atroce que celle-ci) qu’on ne connaît jamais totalement les gens qui nous environnent, que tout est possible dans une existence, que chacun est capable de tout… Et bien sûr, que « les gens normaux » n’existent pas. Mais ça, vous le savez déjà !
Thierry Desseux, auteur de la Mélancolie des incurables disponible sur le site des Editions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.