L’amour et ses ombres
En tant que psychologue, j’ai accompagné de nombreux parents d’enfants placés en institution pour mauvais traitements ou carences parentales. J’ai pu mesurer à quel point ces parents séparés de leurs enfants placés étaient habités tant par un amour que par une souffrance indicible ; et combien les fantômes de leur propre histoire venaient alourdir leur trajectoire, au point de les entraver dans leurs compétences parentales.
Le goudron de l’âme est une fiction poétique, aux accents surréalistes, qui puise une partie de son inspiration sous l’alcôve de ma consultation. Le lecteur est plongé dans la vie d’une femme qui essaie de surmonter ses propres difficultés (l’alcool et la dépression notamment), afin de retisser un fil avec son enfant, Léon, placé dans un foyer. Mue par tout son amour de mère, Rose prend sa plume et tente d’écrire à son fils ; mais les mots qui jaillissent râpent et heurtent, tant ils la confrontent à sa propre histoire, à ses zones d’ombre et à ses secrets. De son côté, Léon attend sa mère tous les dimanches dans son institution. Ces deux êtres parviendront-ils à se rejoindre, dans la vraie vie ou au travers de leurs mots, de leur imaginaire et de leurs rêves ? C’est tout le suspense du Goudron de l’âme.
Tout en cherchant à concilier sensibilité, humour et humanisme dans mon écriture, j’ai voulu montrer comment les traumatismes psychiques peuvent peser sur les compétences parentales ; et combien la remise en mouvement de ces adultes blessés par la vie peut prendre la forme d’un chemin sinueux et imprévisible. Il y a toujours une histoire derrière un acte, aussi terrible soit-il.
D’un autre côté, le récit, qui se veut porteur d’espoir et de lumière, interroge en filigrane ce qui peut venir nourrir la résilience : s’agirait-il de la force de l’amitié, du contact avec la nature, du refuge dans l’imaginaire, de la compréhension de sa propre histoire… ? Ou, plus simplement, du hasard d’un flocon de neige porté par le vent… ?
Enfin, mon roman développe le fait que, contrairement à certaines idées reçues, les femmes aussi peuvent avoir leur part d’ombre. Rose, dont le fils n’est pas placé par hasard, entretient également des relations troubles avec les hommes. Le Goudron de l’âme cherche à dépasser les clivages trop simplistes à propos des hommes, des femmes, des victimes et des bourreaux notamment. Le lecteur est amené à s’interroger : Rose est-elle un monstre pervers? Est-elle simplement une femme abîmée par la vie et par sa propre histoire? Est-il réellement possible de trancher cette question ? En définitive, n’aurions-nous pas tous, au fond de notre âme, un petit dépôt de goudron…? Je vous laisse sur cette grande question existentielle… ; )
Le goudron de l’âme de Clémentine Ronse, disponible aux éditions Maïa