Parlons de la genèse de ce livre. On dit qu’au seuil de la mort déferle un tsunami de souvenirs. C’est ce qui m’est arrivé. Mourir ne m’a jamais fait peur, sans doute parce que dans ma famille cela n’était pas un sujet tabou et que de sporadiques velléités suicidaires m’ont donné l’opportunité de réfléchir à ce point final. Lorsqu’on m’a annoncé cette récidive de cancer, voici les premiers mots qui me sont venus : c’est trop tôt ! Ce cri du cœur spontané n’est pas capable de retenir à lui seul l’épée de Damoclès. On fait cependant le plein d’énergie à s’entendre dire une chose pareille malgré soi.
Énergie mentale s’entend, parce que pour le reste… Il me fallait donc préparer d’urgence un cadeau pour ceux que j’aime. Au cas où. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’à partir de cette décision les choses se sont faites toutes seules. Mais elles se sont imposées. Imaginez-moi dans un immense champ de fleurs ; je n’ai qu’à choisir, cueillir et composer des bouquets selon leur destination.
La mort n’est réellement douloureuse que pour les vivants. Il y a bien sûr ceux qui ont peur de mourir, mais je veux parler de « ceux qui restent », pour qui on se doit, si l’on en a le temps, d’adoucir le deuil, de laisser des traces et de semer des sourires. Ce sont les amis, mais surtout, sans doute, la famille. Mon mari et moi avons deux filles. Adoptées. Dans ma tête s’est mise en route une machine à remonter le temps, une fabrique de souvenirs. Je suis le fruit de mes origines, et nos filles en ont forcément récolté une part. Cadeau d’une mère à ses filles : j’ai donc entrepris de me raconter aux côtés de ma propre mère, de raconter ma mère aux côtés de mon père, de mettre par écrit l’histoire de mes parents qui ont eu une vie extraordinaire ; et tant pis si cela est une considération subjective.
Il m’a semblé avoir écrit ces pages très vite ; mais cela a pris quelques mois quand même. C’était en 2014. Quelquefois on a l’impression que le temps s’arrête. En retrouvant petit à petit mon corps j’ai aussi retrouvé une part de mes doutes. Cela mérite-t-il d’être publié ? Et puis je me suis rappelé le bonheur de mon père lorsqu’il a pris dans ses mains son histoire de malgré-nous dans la Wehrmacht et au camp de Tambow que j’avais publiée à compte d’auteur. Un vrai livre, c’est beau, c’est précieux. Cela m’a pris quelques années avant d’oser. À me relire de loin en loin j’ai fini par aimer ce que j’avais écrit, par apprécier l’humour que j’y avais semé. J’ai souhaité partager cela plus largement et me suis lancée à la recherche d’un éditeur. Sept ans de réflexion… Il aura heureusement fallu moins de temps aux Éditions Maïa pour me publier.
Retrouvez Bons baisers posthumes de Brigitte Bohn, disponible aux éditions Maïa